Depuis que je suis stagiaire à la rédaction de "Ce Soir ou Jamais" sur France 3, je vois défiler assez de journaux et de magazines pour comprendre d'un seul regard l'ampleur de la déforestation amazonienne. Car, même si ce n'est pas là la tâche la plus passionnante de toutes celles qu'on me confie, c'est à moi d'aller chaque matin chercher la presse du jour. C'est ainsi qu'un beau matin d'octobre, mes yeux contraints et forcés ont fait une chose jusqu'alors inédite pour eux : ils se sont posés sur la couverture de Gala. Qu'y vis-je ? La réponse tient en un seul mot : rien. Rien ne m'attira l'œil, aucune exergue ne me fit saliver, et je laissai le magazine exposé à sa place sans plus m'en soucier. Pourtant, bientôt, un bruit courut à la rédaction : Marianne James s'exhibait nue en couverture de Gala, et la presse ne parlait plus que de ça ! Soucieuse de ne pas demeurer en reste, je saisis le fameux numéro du magazine en question. Ah oui ! C'est vrai ! Marianne James est à poil. Et soyons honnêtes, on s'en moque éperdument.
Marianne James avait sans doute des intentions très louables : la célèbre cantatrice barrée d' Ultima Récital, et ex-jury de La Nouvelle Star prétend dans l'interview ainsi illustrée militer pour le respect du corps des femmes. Et des femmes rondes en particulier, pour qu'enfin, elles assument leur corps et échappent à la culpabilité qu'essaie de leur imposer la Société qui nous a tous bien eus. Beau projet. Encore faudrait-il pour cela que ladite Marianne James soit vraiment nue.
Car voilà le fond du problème : la photo de couverture, due à Gilles-Marie Zimmermann dénote un réel talent, en cela qu'elle réussit à exposer le corps tout en le désérotisant. On aura beau dire : cette photo est asexuée, de par la pose de la cantatrice, du jeu d'ombre et de lumière, de la mise en scène qui flatte le corps de Marianne James et ne le dénude pas.
Ceci est ton corps
Quel militantisme y a-t-il alors dans la revendication d'une nudité qui ne s'exhibe pas, dans le fait de montrer un corps que rien ne dévoile ? Tu peux aller te rhabiller Marianne, ta démonstration est vaine.
Au reste, la nudité signifie-t-elle encore quelque chose ? Est-elle encore révolutionnaire ? Il y a un siècle et demi, l'Olympia de Manet déclenchait encore les ires. Aujourd'hui, si on la placardait sur les gigantesques panneaux publicitaires du métro, la scandaleuse n'aurait droit, en guise de commentaires qu'à des tags la barbouillant de blagues salaces ou lui faisant déclarer des choses aussi raffinées que "j'aime la bite" ou "je suis une grosse chienne".
Et ce, parce que, des publicités pour des marques de lingerie aux films de tous pays, en passant par les spots pour des détergents, la nudité, essentiellement féminine, est partout.
Mercantilisme ? Ce n'est peut-être pas si simple... L'Histoire du Nu, en Art, est déjà longue.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, c'est d'abord une silhouette ronde et très sexuée qui s'est propagée dans la représentation humaine : des sculptures en terre cuite datant de la Préhistoire représentent la femme dans des proportions opulentes, allusion à sa fécondité, aux mystère des origines et de la création.
Petite Histoire de la Vénusté
Les Égyptiens ensuite, et leurs dieux anthropomorphes figent la représentation dans des proportions plus sveltes et extrêmement codifiées. Enfin vient la statuaire antique, grecque et romaine, qui voue au corps une admiration sacrée. Comme dans le mythe de Pygmalion, le marbre se fait chair et la statue prend vie, à l'instar des dieux prenant forme humaine pour venir aimer les Hommes : les sculptures adoptent des postures plus naturelles, imitent le mouvement avec une telle perfection qu'elles semblent respirer. Les artistes de l'Antiquité en effet, sont ingénieux : ils ont mis au point le principe du contrapposto. Au lieu de se tenir droit comme des I, les statues se balancent d'une hanche sur l'autre...
Le Moyen-Age censure : l'art devient un mode d'expression essentiellement religieux. Le Dieu de la Bible refuse l'idôlatrie et les veaux d'or, il ne peut-être représenté comme n'importe quel Homme. La pudeur gagne le corps du Christ : il ne peut être représenté comme n'importe quel homme.
Et puis vient la Renaissance. Les artistes se disent comme ça que ce qu'ils voient dans le miroir ne ressemble pas trop à ce qu'ils peignent. Et se répand l'humanisme. On ressort des temples les statues oubliées, et en les dépoussiérant, on s'aperçoit qu'elles semblent toujours nous regarder dans les yeux en dépit des siècles écoulés. On se trouble. Dès lors, le nu s'explore à travers l'art. Il devient un sujet conventionnel, soumis à des critères formels et thématiques stricts. Les peintres fréquentent les filles de mauvaise vie pour en faire leurs modèles, et si l'on loue leur talent, on blâme leur débauche. Ainsi Raffaelo Di Sanzio, plus connu sous le nom de Raphaël donne aux prostituées habillées des allures de madone. Pour l'époque, c'est le comble de la subversion.
Contrainte, la représentation du Nu ne parvient à retrouver sa sensualité que lorsque les artistes (par la suite souvent maudits) en détournent les codes. La Grande Odalisque, risée des Romantiques (puisque c'est une œuvre néoclassique, et par conséquent peu révolutionnaire), fera tout de même parler d'elle en raison de ses côtes en trop.
Avançons encore dans le Temps. Avec Les Demoiselles d'Avignon, qui montre les professionnelles nubiles d'un bordel, Picasso parvient encore à choquer.
Le Corps en Lumières
Puis les corps envahissent un nouvel art qui se glisse peu à peu dans le quotidien : la belle invention des frères Lumières, que Fanny Ardant désigne régulièrement aux Césars comme "le Cinémââa". Ils sont aux tout débuts, relativement habillés, mais muets. Puis ils parlent, se faisant de plus en plus présents, mais le code Hays sévit alors, leur refusant l'autorisation de se montrer. Les années 1960, contestataires, jeunes, révoltées le libèrent enfin, les années 1970 l'érotisent, les années 1980 le sexualisent.
Peu à peu se répand l'idée que la nudité fait vendre, ce pourquoi on nous en sature la vision. Mais c'est principalement le corps de la femme qu'on nous sert ainsi, accompagné du culte de la minceur : autrefois le corps gras était un indice de réussite sociale. Aujourd'hui on nous rabâche que manger, c'est mauvais pour la santé. L'obésité nous guette, il faut donc s'évertuer d'être le plus athlétique possible, quitte à provoquer la dérive inverse, l'anorexie.
A force de nous en imposer la vision constante, esthétisée au possible, le corps féminin tel qu'exposé semble perdre de sa valeur nubile. Il a basculé dans l'irréalité avec ces top-models qu'on érige en incarnations de la beauté : on le dit et on le répète, ces filles ne sont pas réelles. Alors leurs corps non plus.
Pourtant, à l'idée d'exposer l'homme à poil, on est plus réticent. Le corps masculin est moins lisse, ses aspérités nous gênent aux entournures. Un homme nu, c'est déjà plus subversif. Peut-être parce que c'est un corps sexué de façon plus évidente ?
De 1976 à 1981, en Irlande du Nord, les prisonniers républicains (essentiellement des activistes de l'IRA et de l'INLA), eurent l'idée d'utiliser leur corps comme instrument de résistance dans les sombres cachots de Long Kesh. Refusant l'uniforme des prisonniers de droit commun, qui les réduisait au rang de simples criminels, et non de militants politiques, ils "prirent la couverture", c'est-à-dire qu'ils vécurent nus, sous leur mince couverture. Ce fut la Blanket Protest. Mais les médias se turent. Alors ils s'infligèrent pire : la grève de l'hygiène. Des institutions humanitaires commencèrent à s'alarmer de leur situation déplorable. Mais la Grande-Bretagne répondit que c'était leur faute. Pour briser le mur du silence, ils firent le sacrifice ultime : la grève de la faim. Hardis, donc, jusqu'à la mort. A l'instar de Bobby Sands, leur leader, le premier à y laisser sa peau. Littéralement. Les images de ces jeunes Irlandais, acharnés, fit le tour de la planète. Ils moururent peu à peu, mais l'Histoire nous enseigne qu'ils gagnèrent leur combat. L'Horreur de ces corps décharnés devînt l'emblème de la guerre civile qui se déroulait en plein coeur de l'Europe et motiva l'intervention de l'ONU, des plus hautes instances.
La nudité alors peut encore choquer, oui. Mais pas la nudité esthétisante, de corps jeunes ou vieux, minces ou gonflés, bien mis en scène et en lumière. Le corps révolté, c'est le corps souffrant, la chair blessée de Bobby Sands incarné par Michaël Fassbender dans Hunger, le magnifique film de Steve MacQueen. Ou un corps masculin qui s'exposerait décomplexé et sexué. L'Homme, pour retrouver l'expressivité de sa nudité, doit mettre l'homme à poil, dans sa chair, ou sur une chaire.
Alors je suis navrée, Marianne : mais malgré tes beaux discours, tu ne guides pas les peuples vers leur libération corporelle. Tu peux bien le clamer haut et fort, ton flambeau s'est éteint.
Marianne James avait sans doute des intentions très louables : la célèbre cantatrice barrée d' Ultima Récital, et ex-jury de La Nouvelle Star prétend dans l'interview ainsi illustrée militer pour le respect du corps des femmes. Et des femmes rondes en particulier, pour qu'enfin, elles assument leur corps et échappent à la culpabilité qu'essaie de leur imposer la Société qui nous a tous bien eus. Beau projet. Encore faudrait-il pour cela que ladite Marianne James soit vraiment nue.
Car voilà le fond du problème : la photo de couverture, due à Gilles-Marie Zimmermann dénote un réel talent, en cela qu'elle réussit à exposer le corps tout en le désérotisant. On aura beau dire : cette photo est asexuée, de par la pose de la cantatrice, du jeu d'ombre et de lumière, de la mise en scène qui flatte le corps de Marianne James et ne le dénude pas.
Ceci est ton corps
Quel militantisme y a-t-il alors dans la revendication d'une nudité qui ne s'exhibe pas, dans le fait de montrer un corps que rien ne dévoile ? Tu peux aller te rhabiller Marianne, ta démonstration est vaine.
Au reste, la nudité signifie-t-elle encore quelque chose ? Est-elle encore révolutionnaire ? Il y a un siècle et demi, l'Olympia de Manet déclenchait encore les ires. Aujourd'hui, si on la placardait sur les gigantesques panneaux publicitaires du métro, la scandaleuse n'aurait droit, en guise de commentaires qu'à des tags la barbouillant de blagues salaces ou lui faisant déclarer des choses aussi raffinées que "j'aime la bite" ou "je suis une grosse chienne".
Et ce, parce que, des publicités pour des marques de lingerie aux films de tous pays, en passant par les spots pour des détergents, la nudité, essentiellement féminine, est partout.
Mercantilisme ? Ce n'est peut-être pas si simple... L'Histoire du Nu, en Art, est déjà longue.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, c'est d'abord une silhouette ronde et très sexuée qui s'est propagée dans la représentation humaine : des sculptures en terre cuite datant de la Préhistoire représentent la femme dans des proportions opulentes, allusion à sa fécondité, aux mystère des origines et de la création.
Petite Histoire de la Vénusté
Les Égyptiens ensuite, et leurs dieux anthropomorphes figent la représentation dans des proportions plus sveltes et extrêmement codifiées. Enfin vient la statuaire antique, grecque et romaine, qui voue au corps une admiration sacrée. Comme dans le mythe de Pygmalion, le marbre se fait chair et la statue prend vie, à l'instar des dieux prenant forme humaine pour venir aimer les Hommes : les sculptures adoptent des postures plus naturelles, imitent le mouvement avec une telle perfection qu'elles semblent respirer. Les artistes de l'Antiquité en effet, sont ingénieux : ils ont mis au point le principe du contrapposto. Au lieu de se tenir droit comme des I, les statues se balancent d'une hanche sur l'autre...
Le Moyen-Age censure : l'art devient un mode d'expression essentiellement religieux. Le Dieu de la Bible refuse l'idôlatrie et les veaux d'or, il ne peut-être représenté comme n'importe quel Homme. La pudeur gagne le corps du Christ : il ne peut être représenté comme n'importe quel homme.
Et puis vient la Renaissance. Les artistes se disent comme ça que ce qu'ils voient dans le miroir ne ressemble pas trop à ce qu'ils peignent. Et se répand l'humanisme. On ressort des temples les statues oubliées, et en les dépoussiérant, on s'aperçoit qu'elles semblent toujours nous regarder dans les yeux en dépit des siècles écoulés. On se trouble. Dès lors, le nu s'explore à travers l'art. Il devient un sujet conventionnel, soumis à des critères formels et thématiques stricts. Les peintres fréquentent les filles de mauvaise vie pour en faire leurs modèles, et si l'on loue leur talent, on blâme leur débauche. Ainsi Raffaelo Di Sanzio, plus connu sous le nom de Raphaël donne aux prostituées habillées des allures de madone. Pour l'époque, c'est le comble de la subversion.
Contrainte, la représentation du Nu ne parvient à retrouver sa sensualité que lorsque les artistes (par la suite souvent maudits) en détournent les codes. La Grande Odalisque, risée des Romantiques (puisque c'est une œuvre néoclassique, et par conséquent peu révolutionnaire), fera tout de même parler d'elle en raison de ses côtes en trop.
Avançons encore dans le Temps. Avec Les Demoiselles d'Avignon, qui montre les professionnelles nubiles d'un bordel, Picasso parvient encore à choquer.
Le Corps en Lumières
Puis les corps envahissent un nouvel art qui se glisse peu à peu dans le quotidien : la belle invention des frères Lumières, que Fanny Ardant désigne régulièrement aux Césars comme "le Cinémââa". Ils sont aux tout débuts, relativement habillés, mais muets. Puis ils parlent, se faisant de plus en plus présents, mais le code Hays sévit alors, leur refusant l'autorisation de se montrer. Les années 1960, contestataires, jeunes, révoltées le libèrent enfin, les années 1970 l'érotisent, les années 1980 le sexualisent.
Peu à peu se répand l'idée que la nudité fait vendre, ce pourquoi on nous en sature la vision. Mais c'est principalement le corps de la femme qu'on nous sert ainsi, accompagné du culte de la minceur : autrefois le corps gras était un indice de réussite sociale. Aujourd'hui on nous rabâche que manger, c'est mauvais pour la santé. L'obésité nous guette, il faut donc s'évertuer d'être le plus athlétique possible, quitte à provoquer la dérive inverse, l'anorexie.
A force de nous en imposer la vision constante, esthétisée au possible, le corps féminin tel qu'exposé semble perdre de sa valeur nubile. Il a basculé dans l'irréalité avec ces top-models qu'on érige en incarnations de la beauté : on le dit et on le répète, ces filles ne sont pas réelles. Alors leurs corps non plus.
Pourtant, à l'idée d'exposer l'homme à poil, on est plus réticent. Le corps masculin est moins lisse, ses aspérités nous gênent aux entournures. Un homme nu, c'est déjà plus subversif. Peut-être parce que c'est un corps sexué de façon plus évidente ?
De 1976 à 1981, en Irlande du Nord, les prisonniers républicains (essentiellement des activistes de l'IRA et de l'INLA), eurent l'idée d'utiliser leur corps comme instrument de résistance dans les sombres cachots de Long Kesh. Refusant l'uniforme des prisonniers de droit commun, qui les réduisait au rang de simples criminels, et non de militants politiques, ils "prirent la couverture", c'est-à-dire qu'ils vécurent nus, sous leur mince couverture. Ce fut la Blanket Protest. Mais les médias se turent. Alors ils s'infligèrent pire : la grève de l'hygiène. Des institutions humanitaires commencèrent à s'alarmer de leur situation déplorable. Mais la Grande-Bretagne répondit que c'était leur faute. Pour briser le mur du silence, ils firent le sacrifice ultime : la grève de la faim. Hardis, donc, jusqu'à la mort. A l'instar de Bobby Sands, leur leader, le premier à y laisser sa peau. Littéralement. Les images de ces jeunes Irlandais, acharnés, fit le tour de la planète. Ils moururent peu à peu, mais l'Histoire nous enseigne qu'ils gagnèrent leur combat. L'Horreur de ces corps décharnés devînt l'emblème de la guerre civile qui se déroulait en plein coeur de l'Europe et motiva l'intervention de l'ONU, des plus hautes instances.
La nudité alors peut encore choquer, oui. Mais pas la nudité esthétisante, de corps jeunes ou vieux, minces ou gonflés, bien mis en scène et en lumière. Le corps révolté, c'est le corps souffrant, la chair blessée de Bobby Sands incarné par Michaël Fassbender dans Hunger, le magnifique film de Steve MacQueen. Ou un corps masculin qui s'exposerait décomplexé et sexué. L'Homme, pour retrouver l'expressivité de sa nudité, doit mettre l'homme à poil, dans sa chair, ou sur une chaire.
Alors je suis navrée, Marianne : mais malgré tes beaux discours, tu ne guides pas les peuples vers leur libération corporelle. Tu peux bien le clamer haut et fort, ton flambeau s'est éteint.