lundi 18 janvier 2010

We could be Héros...


Parmi tous les phénomènes qui caractérisent la société contemporaine, il en est un qui me plonge dans la perplexité la plus totale et taraude mon esprit réticent : c'est cette débauche d'égos dévoilés dans toute la grotesquerie de leur nudité pas vraiment édenesque, que l'on nomme "téléréalité".
Un phénomène apparu avec le XXIe siècle pourtant, et en France par le biais d'une émission pseudo-révolutionnaire, diffusée sur M6, "Loft Story". La star en fut Loana, une bimbo péroxydée aux amours tristes, qui suscita l'engouement populaire, puisque, c'est bien connu, "le malheur des uns fait le bonheur des autres". Et dans la mesure où un fléau n'arrive jamais seul, de cette boîte de Pandore surgit également Benjamin Castaldi, comme si le paysage télévisuel n'était pas déjà assez moche...
On écrivit et on jasa beaucoup sur ce nouveau type d'émission. Structure pénitentiaire apparentée au Panopticon de Bentham, révolutionnaire concept scientifique d'observation des moeurs de la jeunesse d'aujourd'hui, voyeurisme éhonté, tout y passa. On fit de Loana et consorts de "nouvelles stars" auxquelles des producteurs avides se donnèrent bien du mal pour rechercher un quelconque talent.
Dix ans après, malgré la persistance des nuisances de même type et de Benjamin Castaldi - dont même la grippe A ne vînt pas à bout, ce qui montre bien la perversité de ce genre de virus -, on croyait la bimbo oubliée, et on ne s'en plaignait pas. C'était sans compter sur la ténacité de ses sbires, bien décidés à nous la resservir au moment où on s'y attendrait le moins, un peu comme les méchants dans toute bonne série Z qui se respecte. Voilà donc qu'il y a deux jours, ma barre d'informations Google attire mon attention sur une info insolite : Loana tiendra bientôt le premier rôle d'un long-métrage intitulé Obsession, qui s'annonce déjà comme un chef-d'œuvre à inscrire au Panthéon du Cinéma. Le pitch est en lui-même alléchant : Loana incarnera "une femme d'affaires dirigeant une agence de call girls et de contre-espionnage [impliquée dans] une guerre sans pitié entre deux multinationales de l'informatique". Dame ! De quoi faire saliver les scénaristes de Barb Wire, avec Pamela Anderson...
L'affaire aurait pu se contenter d'être drôle si l'inspiré producteur qui avait eu l'idée de ce brillant scénario conçu spécifiquement pour sa non moins brillante protégée ne s'était senti obligé d'ajouter qu'après tout elle avait la carrure d'une véritable héroïne de cinéma, "une nouvelle Bardot, une nouvelle Monroe". Ce fut alors que le rire mourut dans ma gorge et que je me mis à ressentir, une fois n'est pas coutume, une légère rancune à l'encontre de ces deux hommes si généralement respectables que sont Andy Warhol et David Bowie.
Le premier de ces deux braves hommes, célèbre artiste et publicitaire albinos eut un jour l'idée pas plus saugrenue que d'habitude de proférer pour nouveau slogan une imbécilité qui malheureusement ferait date : "On a tous droit à un quart d'heure de célébrité". Là-dessus, le second renchérit en chanson "We could be heroes, just for one day" ! Comme quoi, même les plus grands génies ont leurs mauvais jours...

David Bowie - Heroes
envoyé par Alexander_Band. - Regardez plus de clips, en HD !

Absolutely Famous
La quête de ce fameux moment de gloire semble en effet devenue le nouveau mal du siècle. Pourquoi chacun devrait-il être un héros, pour un quart d'heure, une journée, ou un siècle ?
A l'origine , le héros, c'est ce demi-dieu qui, dans la mythologie grecque, conquiert la postérité à défaut de posséder l'immortalité, par ses hauts-faits épiques. Ceux-là, Homère les a pour la plupart chantés : ils ont nom Odysseus, Achille, Thésée, Jason... Dénichant des trésors au bout du monde, séduisant de sublimes femmes, nymphes, déesses, combattant des monstres fabuleux et des créatures fantasmatiques, ils bravèrent les mers, les vents, la terre, les flammes, les dieux et les hommes, acquérant un rayonnement millénaire.
Au Moyen-Age, il y eut le héraut. Simple proclamateur de nouvelles pas toujours bonnes...
Et puis au XXe siècle, l'Amérique inventa le "superheroe", ce défenseur ardent face à tous les périples, capable d'arrêter les balles de son imposant poitrail.
De qui tient le héros d'aujourd'hui ? Le héros est désormais un lieu commun. Le peronnage principal d'une histoire, en est le héros. A-t-il encore besoin d'accomplir un quelconque exploit pour se distinguer en tant que héros ? En d'autres termes, ne s'est-il "blanchi dans les travaux guerriers que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?"
En fait, le problème est là : si tout le monde peut être un héros, alors le héros n'est plus rien. Car c'est ce qu'il accomplissait qui faisait s'élever le héros, quel qu'il soit, au plus près du divin auquel il aspirait. Spider-Man, sans combinaison, ne protégeant pas la Veuve et l'Orphelin, n'est que Peter Parker ; de même qu'Achille ne devient homérique que dans la folie démesurée de sa fameuse Colère. La raison même d'être du héros, c'est de parvenir à se surpasser pour devenir plus qu'humain. Si l'on n'a plus rien à faire pour devenir héroïque, alors l'héroïsme est mort, cela paraît simple.

Cinéroïque
Le cinéma a-t-il contribué à l'aseptisation du héros ? On pourrait le penser, car s'il est bien un média qui nous en ressort à foison, c'est bien celui-là. En réalité, la situation est plus complexe que ça, car s'il a créé des héros, le cinéma, comme la littérature, a parrallélement créé des mythes qui se sont ancrés dans l'imaginaire populaire, comme Odysseus, Achille et les autres le firent en leurs temps. Dans L'Aiguille Creuse, sa plus célèbre aventure, Arsène Lupin s'écrie devant La Joconde : "A genoux, Bautrelet, toute la femme est devant toi !" Aujourd'hui ceux qui contemplent le visage de Marilyn Monroe ressentent la même chose. Tour à tour fragile, enfant gâtée, femme fatale, délurée, amoureuse, déçue, chacune de ses expressions semble s'être figée en une allégorie de l'éternel féminin. C'est d'ailleurs bien cela qui l'a tué : Marilyn Monroe a été dépossédée d'elle-même, quand le cinéma, en a fait un mythe, et, a fortiori une héroïne.
Et que dire de Bardot, dont on ne peut oublier l'insolente beauté, quand on aimerait tant oublier certains de ses propos ?
Héroïne de cinéma, Loana ? Tout ce qui brille n'est pas or, et il ne sufit pas de blondeur pour être hitchcockienne, la plastique ne suffit pas au charisme. Non Loana, tu n'es pas Marilyn, non tout le monde ne peut pas être un héros. Mon cher David, je te préfère quand, dans la peau de Ziggy, tu chantes la vie sur Mars, très honorable Andy, toi qui contribua à sacraliser Marilyn, je t'aime tant pour tout le reste. Et vous qui écoutez résonner les trompettes de la renommée l'oreille frémissante, en vous demandant fébrilement quand viendra votre heure, lorgnant les strass putrides de la téléréalité, souvenez-vous donc plutôt qu'"A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire".

2 commentaires:

  1. Ce phénomène est complexe à comprendre, à mon avis plusieurs domaines sont à prendre en compte. Tout ce que tu dis est juste, et je pense qu'on peut aussi y ajouter un phénomène psychologique, qui selon moi, n'est pas un phénomène nouveau.
    Je pense que tu dois connaître, l'expérience de Stanley Milgram. J'étais tombée il y a quelques temps sur un article qui faisait le parallèle entre cette expérience et le phénomène de télé réalité (d'ailleurs j'ai vu que France 2 allait en faire un remake.. j'ai peur qu'il sabote le but de ce genre d'expérience, bref).
    En fait, en regardant l'expérience, on peut ensuite faire un parallèle avec les gens qui vont faire de la télé réalité. Même si on parle de héro d'un jour (oui, je prends pour exemple un jour, parce que Bowie ^^)les candidats ne sont pas traités comme des héros, les règles font qu'on joue avec leurs nerfs, ils obéissent à une autorité, et le spectateur en regardant, qu'il n'aime ou pas l'émission, accepte cette sorte de "souffrance" voire "traumatisme" vécu pas les candidats. Oui, je parle de traumatisme, à cause des conditions de jeux, des obligations à remplir, de leur pseudo célébrité arrivée en très peu de temps qui les rend fréquentable uniquement par intérêt. Ce sont des objets de consommation qu'on presse jusqu'au moment où il n'y a plus de jus. Et beaucoup de monde aime lire leur déchéance dans des magazines qui se régalent de leur malheur, paradoxalement, ces candidats qui ont tant été pressé recherchent tout de même à être en une de ces magazines..

    Bref, je pense qu'au delà de ce phénomène de héros qui se développe en même temps que notre société et de ses moyens de communication qui font qu'aujourd'hui on communique dans le monde comme avant on communiquait dans un petit village. Tout va très vite. Il y a, en outre, une sorte d' "inconscient" collectif qui pousse à ce genre d'émission, et ce n'est pas près de s'arrêter.

    On peut aussi se demander s'il n'y a pas une banalisation de la souffrance autant physique que psychologique... peut être dû à la brutalisation de notre société, je m'égare peut être mais bon, je me questionne ^^ en plus si je ne me trompe pas, il y a déjà eu un mort lors d'une émission de télé réalité dans un autre pays...
    Certains peuvent penser que la télé réalité c'est insignifiant, un divertissement moi je pense que c'est plus grave que ça... et que chaque individu est plus ou moins attiré par cette forme de souffrance "perverse", et pas qu'en participant ou en regardant un candidat de télé réalité souffrir, mais en regardant des films effrayants qui mettent des personnages dans des situations dérangeantes par exemple.
    En même temps en psychologie je ne m'y connais absolument pas, du coup je ne peux pas trop pousser mon raisonnement très loin ;-)

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  2. Merci beaucoup pour ce commentaire très judicieux, Kundie. Je t'avoue que je n'avais pas du tout pensé à ce parallèle avec l'expérience de Milgram, mais ce point de vue est effectivement très intéressant...
    Cependant mes propres connaissances en psychologie sont hélas très limitées, donc si un psychologue passe par ici je lui serais gré de nous dire ce qu'il en pense.
    Pour ce que tu dis au sujet des films mettant des personnages dans des situations dérangeantes, je m'étais déjà fait cette réflexion il y a quelques années après m'être laissée convaincre par une copine d'aller voir "The Great Ecstasy of Robert Carmichael".
    L'affiche disait déjà "Le film qui fait passer 'Orange Mécanique' pour un clip de Britney Spears". Le film racontait l'histoire d'un gamin plus paumé qu'antipathique qui se transforme soudain en véritable bourreau... Et le pire c'est qu'on ne nous donne pour ça aucune explication, j'ai vraiment trouvé ça dur à regarder. Et des années plus tard, je me demande toujours quel était vraiment le but ? Choquer pour dénoncer ? Il me semble que passé un certain seuil, on est tragiquement au-delà de ça...
    Enfin bref, ton commentaire me fait réfléchir à plein d'autres choses en même temps, c'est vraiment intéressant. Merci ! ^_^

    Au fait si quelqu'un veut s'immiscer dans ce débat et ignore complètement ce que c'est que l'expérience de Milgram :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram

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